Maintenant que le rock a plus de soixante-dix ans d’existence et que le rock progressif dépasse le demi-siècle, les retours de groupes sont devenus monnaie courante. Les variations sur le thème sont nombreuses et souvent confondantes. La résurrection peut venir d’un membre fondateur même si celui-ci était d’une importance relative. Le délai d’inactivité du groupe peut se compter en quelques années ou même en décennies. L’identité musicale peut être totalement altérée ou alors le groupe ne revient que pour jouer de la musique du passé aux fans nostalgiques. Lorsque la reformation implique quatre membres originaux qui ont participé aux huit premiers albums et que le petit nouveau, « Songs for Beating Hearts », est de haute teneur, alors la légitimité est au rendez-vous. Pour notre plus grand plaisir, nos amis suédois de BEARDFISH reviennent après une pause de près de neuf ans.

L’arrête du groupe corresponds à l’année où RIKARD SJÖBLOM, chanteur et multi-instrumentiste a rejoint BIG BIG TRAIN. Les musiciens étaient restés en bon terme et en 2021, l’idée s’est immiscée à travers leurs occupations musicales respectives. Le plaisir de jouer ensemble est revenu et SJÖBLOM avait justement de nouvelles chansons très BEARDFISH. La chimie est revenue à un point tel qu’il y avait presque suffisamment de matériel pour un album double. Le groupe a volontairement restreint la durée pour le format vinyle. Le membre le plus connu du groupe est le chanteur et parolier mais la majeure partie des compositions est attribuée au groupe. Il s’agit du guitariste DAVID ZACKRISSON, du bassiste ROBERT HANSEN et du batteur MAGNUS ÖSTGREN. Le BEARDFISH nouveau possède sa propre identité mais le son lorgne plus du côté de « The Sane Day » ou des « Sleeping in Traffic » que de « The Void » pour donner un aperçu.

D’entrée de jeu, « Ecotone » et son approche douce et un peu mélancolique semble nous tendre doucement la main pour monter à bord de la barque BEARDFISH au sens propre comme au figuré comme en attestent les paroles. Cette bien agréable mise en oreille est suivie par un des meilleurs morceaux du répertoire du groupe, la suite de vingt minutes « Out in the Open ». Voici ce que nous en dit RIKARD : C’est l’une des premières chansons que nous avons commencé à écrire et à répéter quand nous avons repris. Nous devions garder le prog en vie ! Elle est divisée en sections. Quand j’ai commencé à l’écrire, elle décrivait essentiellement comment les gars me manquait. C’est presque une ode à MAGNUS, DAVID et ROBERT, même si ce n’est pas explicitement exprimé dans les paroles. Mais c’est vraiment spécial. Nous avons grandi ensemble au fil des années, et une partie de vous disparaît quand un groupe se termine, vous savez ? Donc c’était vraiment sympa de recommencer. Une autre partie de cette chanson, je l’ai écrite pour mes enfants. J’en ai trois maintenant, et elle parle d’eux comme de vos espoirs et de vos rêves, c’est une chanson d’amour.

Évidemment, je vous dirai qu’une chanson d’amour prog peut prendre une tournure bien particulière. Je ne vous décrirai pas les six sections mais je suis persuadé que vous serez accroché dès l’ouverture. Le côté joyeux et un peu sautillant, la succession des divers claviers est simplement parfaite pour la suite des choses. Je parle de claviers et je dois signaler que le jeu d’orgue du leader est réjouissant tout au long de l’album. La section suivante « Oblivion » est aussi prenante musicalement que lyriquement. L’accalmie de la section « Hopes and Dreams », fort belle avec ses parties de guitare sèche, touchera particulièrement toutes celles et ceux qui ont des enfants. La relance dynamique et musicale des deux dernières sections complète la suite comme il sied à un grand morceau. Je ne peux passer sous silence la performance de RIKARD SJÖBLOM sur l’orgue.

Le parcours de cet album qui parle de l’amour, de l’amitié et de ce que l’on perd se poursuit avec « Beating Hearts », l’autre longue pièce. Un quatuor à cordes enrichit ce morceau qui s’amorce en finesse et en beauté et qui parle de perte et de réconciliation. Comment rester insensible à ces paroles, « Love can cure a beating heart ». Je souligne la montée en puissance qui lorgne vers le hard-rock et qui mène à une finale toute en cordes. AMANDA ÖRTENHAG appuie les propos amoureux de « In the Autumn » en duo avec RICKARD. Un morceau up-tempo qui a été choisi comme premier single pour l’album. Après un bref intermède instrumental, « Torrential Downpour » aborde la perte via le décès du père de RICKARD. Émotivement et musicalement, il émane une certaine noirceur de ce morceau. Un rythme soutenu et bien en place offre une belle assise pour certaines des meilleures partitions de guitare de DAVID ZACKRISSON. Le morceau se termine sur une belle lancée. Une version instrumentale, à la foi fort différente et intéressante, de « Ecotone » constitue une pièce bonus pour les amateurs qui se sont procuré une version CD ou digitale de « Song for Beating Hearts ». Le quatuor suédois fait un retour en forme et en force et je vous encourage chaleureusement à y consacrer votre cœur et vos oreilles.