Par quel bout de la lorgnette vais-je vous présenter l’ineffable “Conundrum” de “Proportions” ? Voilà un groupe qui cultive les particularités. Cosmopolite d’une part, puisque que nous avons affaire à une distribution composée de deux Américains ANDY KUBICKI (basse, claviers) et GLENN LILJEBLAD (guitares), de deux Suédois LENNART STAHLE (guitares, basse, flûte), TOMAS STARK (claviers, guitares, voix), d’un Canadien DENIS BOUCHER (batterie, percussions) et d’un Britannique JOHN EYRE (guitares, voix). Il ne faudrait pas que j’omette pour cet opus les chanteurs invités JEFF McCARTNEY et MICHAEL KENNEDY d’origine américaine (en arrière-plan sur “Who Will Understand”). Et d’autre part, le concept original de composition via les webs studios. Un outil de création musicale de plus en plus fréquemment utiliser de nos jours. Surtout lorsque les intéressés sont dispersés aux quatre coins de la planète. Cependant, au-delà de l'hétéroclisme des combos, elle augure auprès des intéressés de belles prouesses techniques, de connaissances, et un tant soit peu, une bonne connexion internet. Que je sache, malgré leurs disparités, le point de convergence fut leurs rencontres lors d'une réunion “GORGG” lieu où se réunissent les fervents admirateurs de “GENTLE GIANT “. Aujourd'hui, on peut envoyer en un clin d'œil des fichiers audio via les nouvelles technologies à l’autre bout de la planète. Ici, chaque protagoniste propose ainsi sa propre démo brute, la transmet à d'autres membres afin qu'il y ajoute sa contribution. Puis, on assemble le tout tel un puzzle. S’ensuit le peaufinement créant ainsi un excellent son dynamique, le tout restant en symbiose. Au passage, la section rythmique n’est pas en reste puisque ça groove, d'une manière remarquable, du côté de chez… “plantaq”.

Dès lors, que dire de l’objet musical ? Envahie par le doute, je fus confrontée à l’incapacité de l’identifier et à écrire mes premières lignes. Oserais-je lui attribuer un descriptif éculé par le temps, où la chroniqueuse acculée, peinait à décrire l'œuvre musicale parfois inclassable. Cela me paraît inapproprié à cette fresque sonore. Le sextet vient de sortir son cinquième album. De mémoire, j’avais plutôt bien apprécié les deux précédents opus : “After All These Years” (2021), et “The Odd Land Of Nod” (2022). Les combinaisons orchestrales n’ont guère changé. Un florilège textural d'harmoniques jazz rock/fusion, folk, parfois, un tantinet psyché, un chouia Canterbury. De surcroît, et à l'instar de cette variété sonore originale, érudite, l'élaboration ne demeure pas moins à l'écoute de toute beauté.

Mais, venons-en plutôt au menu de ce dernier opus. Dix morceaux principalement instrumentaux composent cette fresque. Il n’en reste pas moins difficile de caractériser des styles musicaux aussi abondants. On retrouve néanmoins les combinaisons aux textures Jazz rock/fusion, folk aux fioritures rock progressif seventies comme préalablement décrites. Dès l’ouverture du répertoire avec “Steel Wool”, la tonalité est donnée. Subrepticement, advient un récit narratif anecdotique préventif d’attention. J'ajouterais, ça va chauffer ! La basse vrombissante, la guitare ciselée, derrière, les fûts, les saccades intensifient le tempo, et l’ensemble vire au hard rock. La section rythmique s’affaire, ne fusse qu’éphémère mais waouh ! ça surprend. Ça décongestionne les esgourdes. V'là, votre appareil auditif fin prêt pour la suite ; les méninges aux aguets et le ciboulot requinqué. Puis, decrescendo la mélodie s'épure. Dérisoire, ou, ô combien subtil de placer là, des nappes de claviers vaporeux, évanescents. Et, soudain, un voile harmonique langoureux, un tant soit peu bucolique, s'évapore. Puis, au gré de quelques détours savoureux, s'agrémente au fur et mesure, se développe, s’intensifie, comme pour annoncer une nouvelle texture, cette fois, plutôt rock symphonique. Ensuite, elle jalonne un paysage latino au rythme de diverses percussions ; la guitare, le synthé semblent s’orienter vers des inflexions jazz fusion accaparés par les fantômes seventies. Et, le retour vers une ambiance symphonique, flûte, claviers luxuriants dominent à nouveau l’atmosphère. Ponctuée par des riffs à la guitare acidulée, la pièce se clôt par un solo de batterie.

Le morceau titre “Conundrum” attire non seulement l'attention par son artwork, une peinture de “TOMAS STARK” tout à fait remarquable soit dit en passant. Mais également par ses motifs rythmiques entraînants. Une mélodie entêtante, et accrocheuse. Une voix sans fioritures s’appuyant sur les temps forts, des tonalités humoristiques, des sonorités progressives aux réminiscences à GENTLE GIANT. Bref, le cocktail obsédant, tarabiscoté pour illustrer l'énigme du songe clownesque du “Co…Num...drum…”. La syncopé se prolonge avec “plantag” sur un motif plus jazzy. L’aspect dynamique se poursuit avec “Open Your Senses”. Pour autant, le paysage sonore est plutôt poétique. Les tonalités s’entremêlent avec les claviers luxuriants et les ornements acoustiques. Encore une belle balade enivrante. S’ensuit “Who Will Understand”, le deuxième morceau chanté de l’album qui perpétue la formule hétéroclite dans un style pop rock plutôt bien goupillé. A mi-parcours de l'album, l'inspiration créative semble s'orienter du côté de l’animation animalière avec “The Swan, The Toad, The Dragonfly”. Le sextet se pare de la thématique descriptive façon dessin animé. De surcroît, magnifiquement interprété à l'image de ces trois symboles animaliers ; le cygne magistral et mélancolique, le crapaud, pataud et plutôt comique quant à la libellule, elle se vêt de motifs jazz rock fusion. Là ! Les gars ! Ils s’amusent et expriment toute leur virtuosité.

“Clapartures” évoque l’errance du compositeur dans les rues de Manhattan. Cela débute sur un rythme répétitif, obsédant. La linéarité de la mélodie progresse vers des paysages sonores ambivalents atmosphériques, électro rock psychédélique. Emporté dans ce tourbillon enivrant, les truculents guitaristes, claviéristes balancent un solo étincelant, l'un derrière l'autre comme pour ciseler tout en éloquence le continuum rythmique envoûtant. “Sail With The Wind” nous entraîne au grès des vents vers le monde du folk haut en couleur. Le morceau se clôt avec un petit clin d'œil à GENTLE GIANT. Débarqué de “Sail With The Wind”, nos gaillards empruntent le chemin de “On the Road to Portwenn” la balade enjouée, nous amène au titre final “Sleeping Beauty” une mélodie mélancolique, au chant lancinant, émaillé d’espoir. La belle au bois dormant va t’elle ouvrir les yeux ?

En conclusion, serait-il pertinent d'assimiler la musique de nos protagonistes de PROPORTIONS à une musique dite polymorphe, linéaire où s’attelle une cordée de virtuoses. Ces artistes sont capables de jouer une variété de styles musicaux tout en variant les combinaisons. Ainsi, émane une grande diversité et une exploration créative dans leur musique. À laquelle vient se choir dans l’escarcelle musicale une dose d’humour. Des lignes harmoniques mélodieuses, chaleureuses, envoûtantes, bref qui sied mon appareil auditif… Enfin, ce dernier opus me convainc et au-delà des stéréotypes des étiquettes de styles musicaux, leur musique reste harmonieuse et attachante.